Relation enseignant-enseigné

L'exemple que Pascal évoque au sujet des élèves dans le topic sur la sagesse m'a fait me rappeler un ancien texte que j'avais apprécié. Je vous le livre en partage.

La liberté au coeur de la relation enseignant-enseigné.

Il est évident que la nature de cet enseignement se doit d'être, avant tout, fondée sur la liberté. Cela n'est possible que parce que l'instructeur ne témoigne pas à partir de la compensation d'un manque en lui.
Nous connaissons tous l'expérience du manque et la peur qui en découle. Toute souffrance liée cette peur et à ce manque nous met d'emblée dans une situation de grande vulnérabilité, de potentielle dépendance. Le moteur de nos comportements étant lié à ces manques, à ces peurs, nous allons essayer, dans un premier temps, de ne plus souffrir, de ne plus éprouver ni le manque ni la peur. Par là même, nous nous mettons en situation de manipulé potentiel. Il suffit que dans le paysage apparaisse quelqu'un qui a remplacé en lui le manque par un sentiment de conviction, de certitude, comblant provisoirement son manque sur le plan mental, affectif ou physique, pour que cette personne puisse nouer avec vous une relation de pouvoir, en vous disant :" Je détiens ce qui peut apaiser votre souffrance, votre inquiétude et combler votre manque." Cet être, parce qu'il vit lui-même à partir d'un manque comblé, va s'adresser à votre souffrance, à votre manque et, de cette façon, il vous tient. Une relation de pouvoir s'installe alors, une relation de dominant à dominé, parce que lui semble posséder quelque chose que vous ne possédez pas, et vous croyez que le posséder aussi serait la solution qui vous soulagerait de la souffrance découlant de l'expérience du manque en vous. Ce mécanisme est important.
Toutes relations humaines de manque comblé à manque en attente sont des relations de pouvoir, de domination et d'aliénation.
Un véritable instructeur n'est jamais dans le cadre d'une telle relation. Parce qu'un instructeur, un éveillé, ne fonctionne pas dans une relation sur la base d'un manque comblé ; il fonctionne à partir de la reconnaissance intuitive du plein, reconnaissance qui ne souffre pas la séparation. Lorsqu'il s'adresse à vous, bien qu'il soit conscient du manque à partir duquel vous vous exprimez, il s'adresse en priorité à ce plein dont il se sait non séparé. C'est la garantie de liberté d'un telle relation.
L'instructeur ne possède pas quelque chose qui vous manque, il vous rappelle à ce que vous êtes, qui n'est pas différent de ce qu'il est.
Où pourrait-il y avoir là la source d'une aliénation ? Vous êtes confirmés dans la même réalité. D'emblée, vous êtes libres de lui, parce que vous êtes ce dont il témoigne. Cela et le seul fondement qui authentifie la relation enseignant-enseigné. C'est le plein qui s'adresse au plein

Source : L'obligation de conscience, chap. 1
Yvan Amar.

Merci pour ce texte. On ne saurait mieux dire, et, comme il est indiqué, il en va de même pour toute relation humaine.
Beaucoup d'enseignants, par l'autorité qui leur est octroyée (aux visages multiples, conditionnés ou non par la société: expérience, culture, charisme, ou même encore autre chose que la discipline enseignée) deviennent des gourous et, à mes yeux, il est impossible que cela ne soit pas fait en toute conscience.
Il est relativement facile et courant de ressentir les prémisses d'une dépendance quelconque d'une personne vis à vis de soi, et d'en pressentir les premiers signes dévastateurs. Krishnamurti disait "ne dites pas oui à ce que je dis".
Voilà ce que je suis souvent tenté de dire à un élève dont le sens critique n'est pas très développé. Ce sens critique n'est pas une qualité particulière. Il ne s'agit pas de renforcer son sens critique, ce qui aurait pour conséquence, une nouvelle fois, de ne plus écouter. Il s'agit plutôt que l'élève reste à sa propre écoute, celle de son ressenti par rapport à ce qui lui est montré. A ce titre d'ailleurs, les exemples musicaux sont plus évocateurs que les discours.

La frontière est pourtant ténue entre la confiance si essentielle dont je parlais de l'élève en son Maître, sans laquelle rien ne peut être fait, et l'assujettissement ; En outre, il s'agit vraiment d'un échange, car, comme dans toute relation, ce que renvoie l'élève à son Maître est tout aussi important.
Je me demande d'ailleurs parfois dans certaines relations maître-élève qui est le vassal de l'autre.

Certains élèves ont été éduqués à obéir, et l'image du "professeur" est sacrée. Le Maître ne doit pas alors s'obstiner à contrecarrer des générations de conditionnements mais à prouver que des interstices existent et à les offrir à leur conscience.
Et, comme le Disciple, observer à chaque instant si ce qu'il donne est libre.

Je suis d'accord avec toi sur le sens critique. Mais celui-ci m'a joué bien de tours dans mon apprentissage. J'ai été confronté à des professeurs qui supportaient mal mon esprit critique et ne comprenaient d'ailleurs pas que mon esprit critique était motivé par une soif d'absolu et non de les remettre parfois en question. En effet, bien des professeurs sont dans une relation dogmatique, non-vivante, où seule leur autorité compte. Après il y a aussi les élèves qui suivent sans poser de questions et sans se poser de questions. Lorsqu'on les amène à réfléchir, à se poser des questions, ils sont bien déroutés, car ils sont en-dehors du cadre préétabli, et ne savent plus trop comment faire. Et pourtant, c'est à ce moment-là que l'élan créatif peut prendre vie.

Finalement, dans la relation enseignant-enseigné, il y a une rencontre qui peut se faire, à condition que les deux lachent les préjugés, la tentation de l'autorité et de l'assujettissement. Comme tu dis, il faut une certaine confiance, mais pas une aveugle, plutôt une confiance qui s'impose d'elle-même, qui devient une évidence et où il n'y a pas de jeu de pouvoirs.

Je dois avouer qu'après avoir passé 14 ans à enseigner, mes élèves m'ont beaucoup apporté et m'ont beaucoup appris. Ils nous renvoient une certaine image, je dirais, qui nous pousse à une certaine introspection afin de devenir bien plus pédagogue.