poètes anonymes
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poètes anonymes
Ce texte de Jack kérouac, routard des années 60, a été enregistré par Valérie Lagrange:
"Je humais les fleurs dans la cour, et lorsque je me suis relevé, j'ai inspiré profondément et tout mon sang s'est rué à mon cerveau et je me suis retrouvé mort sur le dos dans l'herbe. Apparemment je m'étais évanoui ou j'étais mort, pendant soixante secondes environ. Mon voisin m'avait vu mais il avait pensé que je m'étais simplement jeté soudain sur l'herbe pour jouir du soleil. Durant cet intemporel moment d'inconscience, je vis l'éternité d'or. Je vis les cieux. Il ne s'y était jamais rien passé, les événements d'il y a un million d'années étaient tout aussi fantomatiques et insaisissables que les événements de maintenant ou de dans un million d'années, ou que les événements des dix prochaines minutes. C'était parfait, la solitude, le vide d'or. Une-Chose-Ou-Une-Autre, quelque chose de sûrement humble. Un silence parfaitement immuable résonnait avec ravissement. Il n'était pas question d'être vivant ou de ne pas être vivant, il n'était pas question de goûts et de dégoûts, de près ou de loin, pas question de don ou de gratitude, pas question de pitié ou de jugement, ou de souffrance ou de son contraire ou de quoi que ce soit d'autre. C'était la matrice même, la solitude même, Alya Vijnana, l'abondance universelle, le Grand Trésor Libre, la Grande Victoire, l'achèvement infini, la joyeuse essence mystérieuse des Dispositions. Cela semblait n'être qu'un sourire épanoui, qu'une adoration adorable, qu'une charité gracieuse et adorable, sécurité éternelle, rafraîchissant après-midi, roses, cendre d'or immatérielle scintillante et infinie, l'Âge d'Or. Ce qui était « d'or » venait du soleil dans mes paupières, et « l'éternité » de ma soudaine et immédiate prise de conscience, tandis que je me réveillais, que je venais d'être là d'où tout vient et où tout retourne, le permanent Ainsi, qui donc jamais ne va ni ne vient; c'est pourquoi je l'appelle l'éternité d'or mais vous pouvez l'appeler comme bon vous semble. En revenant à la conscience, je fus terriblement navré d'avoir un corps et un esprit, comprenant soudain que je n'avais pas même un corps et un esprit et que rien n'était jamais arrivé et que tout est bien à jamais et à jamais et à jamais. O merci, merci, merci."
Une petite promenade sur ce site: http://www.zoomrang.com/lagrangefleuve.htm
permet de découvrir l'une de ces artistes qui ne passe pas sur les ondes
"Je humais les fleurs dans la cour, et lorsque je me suis relevé, j'ai inspiré profondément et tout mon sang s'est rué à mon cerveau et je me suis retrouvé mort sur le dos dans l'herbe. Apparemment je m'étais évanoui ou j'étais mort, pendant soixante secondes environ. Mon voisin m'avait vu mais il avait pensé que je m'étais simplement jeté soudain sur l'herbe pour jouir du soleil. Durant cet intemporel moment d'inconscience, je vis l'éternité d'or. Je vis les cieux. Il ne s'y était jamais rien passé, les événements d'il y a un million d'années étaient tout aussi fantomatiques et insaisissables que les événements de maintenant ou de dans un million d'années, ou que les événements des dix prochaines minutes. C'était parfait, la solitude, le vide d'or. Une-Chose-Ou-Une-Autre, quelque chose de sûrement humble. Un silence parfaitement immuable résonnait avec ravissement. Il n'était pas question d'être vivant ou de ne pas être vivant, il n'était pas question de goûts et de dégoûts, de près ou de loin, pas question de don ou de gratitude, pas question de pitié ou de jugement, ou de souffrance ou de son contraire ou de quoi que ce soit d'autre. C'était la matrice même, la solitude même, Alya Vijnana, l'abondance universelle, le Grand Trésor Libre, la Grande Victoire, l'achèvement infini, la joyeuse essence mystérieuse des Dispositions. Cela semblait n'être qu'un sourire épanoui, qu'une adoration adorable, qu'une charité gracieuse et adorable, sécurité éternelle, rafraîchissant après-midi, roses, cendre d'or immatérielle scintillante et infinie, l'Âge d'Or. Ce qui était « d'or » venait du soleil dans mes paupières, et « l'éternité » de ma soudaine et immédiate prise de conscience, tandis que je me réveillais, que je venais d'être là d'où tout vient et où tout retourne, le permanent Ainsi, qui donc jamais ne va ni ne vient; c'est pourquoi je l'appelle l'éternité d'or mais vous pouvez l'appeler comme bon vous semble. En revenant à la conscience, je fus terriblement navré d'avoir un corps et un esprit, comprenant soudain que je n'avais pas même un corps et un esprit et que rien n'était jamais arrivé et que tout est bien à jamais et à jamais et à jamais. O merci, merci, merci."
Une petite promenade sur ce site: http://www.zoomrang.com/lagrangefleuve.htm
permet de découvrir l'une de ces artistes qui ne passe pas sur les ondes
cieletbaie- Messages : 11
Date d'inscription : 29/02/2008
Re: poètes anonymes
Magnifique texte, et pas forcément inattendu venant de cet écrivain des grands espaces. Merci beaucoup cieletbaie.
Re: poètes anonymes
Merci cieletbaie pour ce beau texte. Qui me donne envie d'en ressortir un autre que j'avais consigné dans ma mémoire. J'étais tombé sur ces mots il y a quelque temps, dans le quotidien local La Liberté du 25.4.07, sous la plume de François Gachoud:
Belle description d’un instant d’éveil, chez quelqu'un qui ne se paye pas de mots.
- “Partant de l’idée que le mystère de l’être demeure aussi impénétrable au croyant qu’à l’athée, Comte-Sponville y voit le lieu propice de l’élévation de l’esprit. L’éveil comme le déploiement de la vie spirituelle ne sont pas le fruit de démarches démonstratives. Ils dépendent d’une expérience intérieure. Expérience vécue et décrite par l’auteur comme une sorte de vision contemplative, dans le silence d’une nuit, face au ciel étoilé: «C’était un silence, c’était une harmonie. Cela faisait comme un point d’orgue, mais éternel, sur un accord parfaitement juste, qui serait le monde... Pur présent de la présence... Plus de temps: rien que le présent. Plus de néant: rien que de l’être... Je ne suis pas de ceux qui savent habiter durablement l’absolu. Mais enfin, il m’avait habité l’espace d’un instant.»
André Comte-Sponville, L’esprit de l’athéisme. Introduction à un spiritualité sans Dieu, Albin Michel.
Belle description d’un instant d’éveil, chez quelqu'un qui ne se paye pas de mots.
Re: poètes anonymes
joaquim a écrit:Belle description d’un instant d’éveil, chez quelqu'un qui ne se paye pas de mots.
Oui, et ses mots mêmes sonnaient déjà souvent très juste. Je me souviens par exemple d'un livre magnifique "de l'autre côté du désespoir" où il tente de faire connaître Prajnanpad au grand public.
Re: poètes anonymes
" La sainteté n'est rien de ce qu'on imagine. J'ai rencontré aujourd'hui une troupe de primevères bavardant à l'air libre et faisant de leurs bavardage une prière qui montait droit au ciel. leur coeur était ouvert aux pluies, aux sécheresses et même à l'arrachement. Ne pas choisir dans ce qui vient était leur manière impeccable d'être saintes. Je piétinais dans mes pensées quand elles me sont apparues sur le bas-côté de la route, offrant à la lumière le berceau coloré de leurs pétales. Le vent faisait vibrer leurs formes, imprimant sur un fond d'herbes un texte digne de louanges
......
L'éclat des primevères, pour m'arriver, avait dû déchirer la nuit qui entoure mon coeur. Je tiens pour un miracle de voir des choses très pauvres. Je ne me lasse pas de ces miracles et suis bien incapable d'expliquer pourquoi parfois il n'y a rien, pourquoi parfois il y a tout. Le paradis, ce serait de vivre une journée entière comme une seule de ces primevères."
Christian Bobin: "ressusciter". collection folio
......
L'éclat des primevères, pour m'arriver, avait dû déchirer la nuit qui entoure mon coeur. Je tiens pour un miracle de voir des choses très pauvres. Je ne me lasse pas de ces miracles et suis bien incapable d'expliquer pourquoi parfois il n'y a rien, pourquoi parfois il y a tout. Le paradis, ce serait de vivre une journée entière comme une seule de ces primevères."
Christian Bobin: "ressusciter". collection folio
cieletbaie- Messages : 11
Date d'inscription : 29/02/2008
Re: poètes anonymes
Magnifiques textes, merci beaucoup cieletbaie. J'ai toujours été touché par le lyrisme et la simplicité de Christian Bobin.
Re: poètes anonymes
Les idées ont des ailes
Que les mots apprivoisent
L'amour est le grand ciel
Ou passent des nuages
Quand un vaste voile blanc
Recouvre ce ciel bleu
Ce qui était vibrant
Redevient terne et gris
Les mots et les nuages
Ont des reflets chétifs
Le papillon sauvage
Ne peut vivre captif.
Que les mots apprivoisent
L'amour est le grand ciel
Ou passent des nuages
Quand un vaste voile blanc
Recouvre ce ciel bleu
Ce qui était vibrant
Redevient terne et gris
Les mots et les nuages
Ont des reflets chétifs
Le papillon sauvage
Ne peut vivre captif.
toniov- Messages : 73
Date d'inscription : 27/02/2008
Age : 70
Localisation : toulouse
Re: poètes anonymes
Du même Christian Bobin,
"Dans la maison de cure où il a passé ses douze derniers mois, mon père souvent comptait et recomptait les boutons de son gilet. Il avait cette maladie hautement métaphysique qu'est la maladie d'Alzheimer: d'un revers de main, le malade balaie ce qui est sur la table encombrée de sa vie, et ne garde que l'essentiel - quelques taches ensoleillées de l'enfance sur la nappe éblouie de la mémoire. quand mon père comptait ses boutons, son gilet devenait une centrale atomique faisant exploser les fausses grandeurs du monde. La lenteur de ses gestes et la densité de son attention apaisait le ciel, entrait dans un carnet angélique, en tête de la rubrique "choses dont la simplicité coupe le souffle" ..."
Joli et tendre regard sur les choses et les gens, en effet.
A bientôt.
"Dans la maison de cure où il a passé ses douze derniers mois, mon père souvent comptait et recomptait les boutons de son gilet. Il avait cette maladie hautement métaphysique qu'est la maladie d'Alzheimer: d'un revers de main, le malade balaie ce qui est sur la table encombrée de sa vie, et ne garde que l'essentiel - quelques taches ensoleillées de l'enfance sur la nappe éblouie de la mémoire. quand mon père comptait ses boutons, son gilet devenait une centrale atomique faisant exploser les fausses grandeurs du monde. La lenteur de ses gestes et la densité de son attention apaisait le ciel, entrait dans un carnet angélique, en tête de la rubrique "choses dont la simplicité coupe le souffle" ..."
Joli et tendre regard sur les choses et les gens, en effet.
A bientôt.
Jim- Messages : 46
Date d'inscription : 27/02/2008
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