Etty Hillesum
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sabine
Pascal
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Etty Hillesum
Voici un texte incroyable écrit par Etty Hillesum en 1943 en déportation à Westerbork, jeune juive hollandaise dans la certitude d'une mort prochaine. Elle mourut peu de temps après à Auschwitz.
"C'est une expérience de plus en plus forte chez moi ces derniers temps: dans mes actions et mes sensations quotidiennes les plus intimes se glisse un soupçon d'éternité. Je ne suis pas seule à être fatiguée, malade, triste ou angoissée, je le suis à l'unisson de millions d'autres à travers les siècles, tout cela c'est la vie; la vie est belle et pleine de sens dans son absurdité, pour peu que l'on sache y ménager une place pour tout et la porter tout entière en soi dans son unité; alors la vie, d'une manière ou d'une autre, forme un ensemble parfait. Dès qu'on refuse ou veut éliminer certains éléments, dès que l'on suit son bon plaisir et son caprice pour admettre tel ou tel aspect de la vie et en rejeter tel autre, alors la vie devient en effet absurde: dès lors que l'ensemble est perdu, tout devient arbitraire. (...)
Je suis surtout reconnaissance de n'éprouver ni rancoeur ni haine, mais de sentir en moi un grand acquiescement qui est bien autre chose que de la résignation, et une forme de compréhension de notre époque, si étrange que cela puisse paraître! Il faut savoir comprendre cette époque comme on comprend les gens; après tout c'est nous qui faisons l'époque. Elle est ce qu'elle est, à nous de la comprendre en tant que telle, malgré l'effarement que son spectacle nous inspire parfois. (...) Une chose est sûre: on doit tout accepter, être prêt à tout et savoir qu'on ne saurait nous prendre nos retranchements les plus secrets; cette pensée vous donne un grand calme intérieur et l'on se sent à même d'accomplir les démarches pratiques réclamées par les circonstances (...). Là où on est, être présent à cent pour cent. Le grand obstacle, c'est toujours la représentation de non la réalité. La réalité, on la prend en charge avec toute la souffrance, toutes les difficultés qui s'y rattachent - on la prend en charge, on la hisse sur ses épaules, et c'est en la portant que l'on accroît son endurance. Mais la représentation de la souffrance - qui n'est pas la souffrance, car celle-ci est féconde et peut vous rendre la vie précieuse- il faut la briser. Et en brisant ces représentations qui emprisonnent la vie derrière leurs grilles, on libère en soi-même la vie réelle avec toutes ses forces, et l'on devient capable de supporter la souffrance réelle, dans sa propre vie et dans celle de l'humanité.(...) Je ne pense plus en termes de projets ou de risques: advienne que pourra et tout sera bien".
Etty Hillesum, une vie bouleversée, Journal (Seuil)
"C'est une expérience de plus en plus forte chez moi ces derniers temps: dans mes actions et mes sensations quotidiennes les plus intimes se glisse un soupçon d'éternité. Je ne suis pas seule à être fatiguée, malade, triste ou angoissée, je le suis à l'unisson de millions d'autres à travers les siècles, tout cela c'est la vie; la vie est belle et pleine de sens dans son absurdité, pour peu que l'on sache y ménager une place pour tout et la porter tout entière en soi dans son unité; alors la vie, d'une manière ou d'une autre, forme un ensemble parfait. Dès qu'on refuse ou veut éliminer certains éléments, dès que l'on suit son bon plaisir et son caprice pour admettre tel ou tel aspect de la vie et en rejeter tel autre, alors la vie devient en effet absurde: dès lors que l'ensemble est perdu, tout devient arbitraire. (...)
Je suis surtout reconnaissance de n'éprouver ni rancoeur ni haine, mais de sentir en moi un grand acquiescement qui est bien autre chose que de la résignation, et une forme de compréhension de notre époque, si étrange que cela puisse paraître! Il faut savoir comprendre cette époque comme on comprend les gens; après tout c'est nous qui faisons l'époque. Elle est ce qu'elle est, à nous de la comprendre en tant que telle, malgré l'effarement que son spectacle nous inspire parfois. (...) Une chose est sûre: on doit tout accepter, être prêt à tout et savoir qu'on ne saurait nous prendre nos retranchements les plus secrets; cette pensée vous donne un grand calme intérieur et l'on se sent à même d'accomplir les démarches pratiques réclamées par les circonstances (...). Là où on est, être présent à cent pour cent. Le grand obstacle, c'est toujours la représentation de non la réalité. La réalité, on la prend en charge avec toute la souffrance, toutes les difficultés qui s'y rattachent - on la prend en charge, on la hisse sur ses épaules, et c'est en la portant que l'on accroît son endurance. Mais la représentation de la souffrance - qui n'est pas la souffrance, car celle-ci est féconde et peut vous rendre la vie précieuse- il faut la briser. Et en brisant ces représentations qui emprisonnent la vie derrière leurs grilles, on libère en soi-même la vie réelle avec toutes ses forces, et l'on devient capable de supporter la souffrance réelle, dans sa propre vie et dans celle de l'humanité.(...) Je ne pense plus en termes de projets ou de risques: advienne que pourra et tout sera bien".
Etty Hillesum, une vie bouleversée, Journal (Seuil)
Re: Etty Hillesum
Pour Etty Hillesum, dont les mots touchent bien au-delà du temps, ces quelques vers de Philippe Jaccottet
« Paroles, à peine paroles
(murmurées par la nuit)
non pas gravées dans la pierre
mais tracées sur des stèles d'air
comme d'invisibles oiseaux,
paroles non pas pour les morts
(qui l'oserait encore désormais?)
mais pour le monde et de ce monde ».
« Paroles, à peine paroles
(murmurées par la nuit)
non pas gravées dans la pierre
mais tracées sur des stèles d'air
comme d'invisibles oiseaux,
paroles non pas pour les morts
(qui l'oserait encore désormais?)
mais pour le monde et de ce monde ».
sabine- Messages : 2
Date d'inscription : 29/02/2008
Re: Etty Hillesum
" la vie est belle et pleine de sens dans son absurdité, pour peu que l'on sache y ménager une place pour tout et la porter tout entière en soi dans son unité; alors la vie, d'une manière ou d'une autre, forme un ensemble parfait. Dès qu'on refuse ou veut éliminer certains éléments, dès que l'on suit son bon plaisir et son caprice pour admettre tel ou tel aspect de la vie et en rejeter tel autre, alors la vie devient en effet absurde: dès lors que l'ensemble est perdu, tout devient arbitraire. (...)
Je suis surtout reconnaissance de n'éprouver ni rancoeur ni haine, mais de sentir en moi un grand acquiescement qui est bien autre chose que de la résignation, et une forme de compréhension de notre époque, si étrange que cela puisse paraître!
. (...) Une chose est sûre: on doit tout accepter, être prêt à tout et savoir qu'on ne saurait nous prendre nos retranchements les plus secrets;
(...). Là où on est, être présent à cent pour cent. Le grand obstacle, c'est toujours la représentation de non la réalité. La réalité, on la prend en charge avec toute la souffrance, toutes les difficultés qui s'y rattachent - on la prend en charge, on la hisse sur ses épaules, et c'est en la portant que l'on accroît son endurance. Mais la représentation de la souffrance - qui n'est pas la souffrance, car celle-ci est féconde et peut vous rendre la vie précieuse- il faut la briser. Et en brisant ces représentations qui emprisonnent la vie derrière leurs grilles, on libère en soi-même la vie réelle avec toutes ses forces, et l'on devient capable de supporter la souffrance réelle, dans sa propre vie et dans celle de l'humanité.(...) Je ne pense plus en termes de projets ou de risques: advienne que pourra et tout sera bien".
Etty Hillesum, une vie bouleversée, Journal (Seuil)[/quote]
Lorsque l'on dit à quelqu'un, que la vie est belle et pleine de sens, cette personne va aussitôt remettre en cause nos propos en évoquant toutes les atrocités qui existent dans le monde. Mais lorsque Etty nous le dit, dans les circonstances extrêmes qu'elle traverse, on ne peut que la croire....
Merci Pascal pour ce texte si riche d'enseignement, qui soulève plein d'émotions et me touche profondément.
Je suis surtout reconnaissance de n'éprouver ni rancoeur ni haine, mais de sentir en moi un grand acquiescement qui est bien autre chose que de la résignation, et une forme de compréhension de notre époque, si étrange que cela puisse paraître!
. (...) Une chose est sûre: on doit tout accepter, être prêt à tout et savoir qu'on ne saurait nous prendre nos retranchements les plus secrets;
(...). Là où on est, être présent à cent pour cent. Le grand obstacle, c'est toujours la représentation de non la réalité. La réalité, on la prend en charge avec toute la souffrance, toutes les difficultés qui s'y rattachent - on la prend en charge, on la hisse sur ses épaules, et c'est en la portant que l'on accroît son endurance. Mais la représentation de la souffrance - qui n'est pas la souffrance, car celle-ci est féconde et peut vous rendre la vie précieuse- il faut la briser. Et en brisant ces représentations qui emprisonnent la vie derrière leurs grilles, on libère en soi-même la vie réelle avec toutes ses forces, et l'on devient capable de supporter la souffrance réelle, dans sa propre vie et dans celle de l'humanité.(...) Je ne pense plus en termes de projets ou de risques: advienne que pourra et tout sera bien".
Etty Hillesum, une vie bouleversée, Journal (Seuil)[/quote]
Lorsque l'on dit à quelqu'un, que la vie est belle et pleine de sens, cette personne va aussitôt remettre en cause nos propos en évoquant toutes les atrocités qui existent dans le monde. Mais lorsque Etty nous le dit, dans les circonstances extrêmes qu'elle traverse, on ne peut que la croire....
Merci Pascal pour ce texte si riche d'enseignement, qui soulève plein d'émotions et me touche profondément.
Béatrice- Messages : 18
Date d'inscription : 29/02/2008
Re: Etty Hillesum
Lorsque l'on dit à quelqu'un, que la vie est belle et pleine de sens, cette personne va aussitôt remettre en cause nos propos en évoquant toutes les atrocités qui existent dans le monde. Mais lorsque Etty nous le dit, dans les circonstances extrêmes qu'elle traverse, on ne peut que la croire....
Je me faisais cette réflexion aussi en lisant ce très beau texte, qui rassemble en peu de mots l'essentiel du chemin d'éveil me semble-t-il : la présence, l'acceptation...
J'y vois deux raisons, au fait que elle, on l'écoute et on la croie, là où l'on n'écouterait pas d'autres personnes en regard des circonstances que l'on connait de leur vie.
Une première qui est "aliénée" dans le sens où on s'appuie sur une sanctification de la souffrance, héritage judéo-chrétien plus ou moins inconscient. Cette logique-là nous dit "qui je suis moi pour parler de la souffrance et de la beauté de la vie, moi qui n'ai pas assez souffert par rapport à d'autres ?"
Et une deuxième, plus simple et "logique", c'est que l'on écoute et croit plus facilement quelqu'un qui parle de ce qu'il connait.
Ceci étant, ça peut aussi être un "piège" dans la manière dont on appréhende et imagine ce que connait la personne qui nous parle. On pense assez aisément que la souffrance était connue des personnes déportées dans les camps de concentration ; mais à l'inverse parfois on juge extérieurement qu'une personne qui a une vie comme ci et comme ça ne connait pas vraiment la souffrance. Alors que l'on n'en sait rien du tout. Chacun seul peut "évaluer" la souffrance qu'il a connue, ou qu'il connait. On ne peut pas de l'extérieur dire qu'une personne souffre ou ne souffre pas.
Après, sur la notion de "croire quelqu'un", peut-être que toute la question est là finalement. Car l'histoire n'est pas de croire quelqu'un qui nous dit que la vie est belle, ça n'a pas beaucoup de sens de croire ou comprendre ça intellectuellement. Et ce, quel que soit le vécu de cette personne, quelle que soit son histoire personnelle.
Les personnes qui offrent des témoignages d'expériences intérieures, ouvrent simplement des portes, proposent des regards possibles, à chacun ensuite d'aller vérifier si quand on passe la porte, ça fonctionne pour soi, si l'on peut découvrir par soi-même, à l'intérieur de soi, que la vie est belle....
Merci Pascal pour ce texte
Ayashka- Messages : 23
Date d'inscription : 15/03/2008
Re: Etty Hillesum
" la vie est belle et pleine de sens dans son absurdité, pour peu que l'on sache y ménager une place pour tout et la porter tout entière en soi dans son unité; alors la vie, d'une manière ou d'une autre, forme un ensemble parfait. Dès qu'on refuse ou veut éliminer certains éléments, dès que l'on suit son bon plaisir et son caprice pour admettre tel ou tel aspect de la vie et en rejeter tel autre, alors la vie devient en effet absurde: dès lors que l'ensemble est perdu, tout devient arbitraire.
Juste remplacer "la vie" par "Ce Qui ESt", dans ce texte magifique, et on à la redondance à un plan encore plus subtil...
.....oui.
Juste remplacer "la vie" par "Ce Qui ESt", dans ce texte magifique, et on à la redondance à un plan encore plus subtil...
Ayashka a écrit:Les personnes qui offrent des témoignages d'expériences intérieures, ouvrent simplement des portes, proposent des regards possibles, à chacun ensuite d'aller vérifier si quand on passe la porte, ça fonctionne pour soi, si l'on peut découvrir par soi-même, à l'intérieur de soi, que la vie est belle....
.....oui.
Re: Etty Hillesum
La vie est belle, mais c'est à l'intérieur de soi qu'elle brille. Le vrai bonheur ne peut venir que de l'intérieur.
Celui qui nous vient de l'extérieur ne dure pas. Il nous arrive, est entretenu un moment par l'égo, puis nous quitte, avec tous les manques qu'engendrera cette disparition....
Alors que le vrai bonheur ne fluctue en rien, il n'est pas touché par les évènements extérieurs. Sa flamme brûle dans notre coeur et s'auto alimente à sa propre source.
Celui qui nous vient de l'extérieur ne dure pas. Il nous arrive, est entretenu un moment par l'égo, puis nous quitte, avec tous les manques qu'engendrera cette disparition....
Alors que le vrai bonheur ne fluctue en rien, il n'est pas touché par les évènements extérieurs. Sa flamme brûle dans notre coeur et s'auto alimente à sa propre source.
Béatrice- Messages : 18
Date d'inscription : 29/02/2008
Re: Etty Hillesum
Béatrice a écrit:La vie est belle, mais c'est à l'intérieur de soi qu'elle brille. Le vrai bonheur ne peut venir que de l'intérieur.
Celui qui nous vient de l'extérieur ne dure pas. Il nous arrive, est entretenu un moment par l'égo, puis nous quitte, avec tous les manques qu'engendrera cette disparition....
Alors que le vrai bonheur ne fluctue en rien, il n'est pas touché par les évènements extérieurs. Sa flamme brûle dans notre coeur et s'auto alimente à sa propre source.
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